De l'Agression à la Guérison : Le Voyage Inspirant d'Ayat, de Mayotte à Sciences Po
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J'ai connu Ayat sur LinkedIn. C'est drôle, nous vivons sur le même territoire, nous aurions dû avoir mille occasions de nous croiser, de nous parler face à face, mais l'univers a fait en sorte que nos échanges se déroulent dans le monde virtuel. Je me reconnais en Ayat dans tant de choses, mais c'est sa capacité à aller de l'avant, sa détermination à réussir malgré les épreuves qui sont nos traits communs. Cette interview aurait dû être publiée bien avant, mais un jour, elle me dit qu'on lui a volé toutes ses affaires, ce qui a retardé sa publication. Et je suis fière que malgré cette énième épreuve, les Éditions Soma School puissent donner la parole encore une fois à Ayat.
Depuis, Ayat a obtenu son baccalauréat avec la mention Très Bien et a été acceptée à Sciences Po. Si vous avez des enfants ou si vous recherchez des conseils pour réussir vos études, son histoire est une véritable source d'inspiration pour nous tous.
Bonne lecture,
Racha Mousdikoudine
Peux-tu nous parler un peu de ton parcours personnel et scolaire ?
Bonjour, alors tout d’abord merci pour cet interview. C’est un grand honneur pour moi et ça me fait énormément plaisir d'être interviewée par une autre écrivaine qui a un grand engagement envers le développement de Mayotte. Mon parcours personnel et scolaire est assez simple. Je suis née aux Comores en Anjouan et je suis arrivée à Mayotte à l'âge de 10 ans en 2015. J'ai commencé ma scolarité en CM1 ne sachant parler aucun mot en français. Mais je me débrouillais assez bien dans la lecture, et c'est justement cela qui m'a aidé à m'améliorer.
Qu'est-ce qui t'a incitée à écrire "Nyongo" à un si jeune âge, et comment as-tu trouvé le processus d'écriture et de publication ?
Depuis la classe de 6ème je suis passionnée par la lecture mais également par l'écriture. Je tiens un journal intime dans lequel j'écris le moindre fait et geste que je fais. Ainsi lorsque en quatrième je fus victime d'agression sexuelle à l'âge de 14 ans, j'ai eu l'envie de l'écrire. Mais ce n'était pas facile… Je ne savais pas quoi écrire. Je ne comprenais pas ce qui m'étais arrivé. J'avais des questions sans réponses. Seulement je sentais le besoin d'écrire. Alors j'écrivais, puis le lendemain je déchirais les pages parce que c'était dur. Mais en grandissant j'ai compris que si je n'écrivais pas je n'irai pas bien. Alors j'ai repris l'écriture …difficilement parce que chaque mot me faisait littéralement souffrir. Je l'ai donc écrit pour me guérir, pour m'aider à aller mieux. Ensuite, je l'ai publié parce que je souhaite également qu'il puisse aider, ouvrir les yeux à d'autres personnes et contribuer à aller vers un monde meilleur.
Pour la publication, beaucoup de personnes m'ont énormément aidée. En premier, il y a Nicolas Puluhen, mon mentor qui m'a trouvé un éditeur et se charge totalement des échanges avec celui-ci. Mais d'autres personnes comme Léa Leroy ou Anaïs Moign ainsi que Lydia de l'association Haki za wanatsa ont aussi contribué à la publication.
En quoi penses-tu que ton livre peut influencer ou inspirer d'autres jeunes, ainsi que la société mahoraise en général ?
C’est un livre qui, comme son titre l'indique, ne raconte pas des choses joyeuses. Mais c'est justement cela qui pourra, je l'espère, aider au développement de la société mahoraise en changeant les mentalités et en encourageant une éducation plus responsable. Je pense que c'est important d'aborder les sujets que j'aborde dans le livre avec les jeunes d'aujourd'hui. Parce que comme pour les violences sexuelles, tôt ou tard ils entendront parler… mais souvent d'une manière mauvaise et horrible.
Comment parviens-tu à équilibrer toutes tes activités, entre tes études, ton engagement associatif et l'écriture, surtout en préparant ton baccalauréat ? As-tu des stratégies de révision que tu aimerais partager ?
Pour trouver un équilibre entre mes activités, mes études et le reste je les classe selon un ordre de priorité. Mes études restent les plus importantes, le reste je ne le fais que si j'ai du temps. En fait, à partir de mon emploi du temps scolaire, je me fais un emploi du temps de vie. J'ai donc des heures où je dois réviser, d'autres où je dois faire du sport, d'autres où je dois lire… etc.
Pour réviser mon bac, j'utilise deux méthodes : la méthode de la feuille blanche et faire des Annales. Pour la feuille blanche, il suffit de prendre une feuille blanche avant d'ouvrir mes cahiers et noter tout ce que j'ai retenu d'un cours. Par exemple, si je révise la philosophie, je note dans une feuille blanche tout ce que j'ai retenu du cours. Ensuite, j'ouvre mon cahier de philosophie et je regarde ce que j'ai oublié ou mal noté sur la feuille blanche. Pour les Annales, je refais les épreuves types bac des années précédentes et je regarde le corrigé ensuite.
Peux-tu nous en dire plus sur l'association Haki Za Wanatsa, et en particulier sur les projets auxquels tu participes ?
Haki za wanatsa est une association que j'ai intégrée l'année dernière. Comme son nom l'indique, c'est une association qui lutte pour les droits des enfants. Comme je suis nouvelle dans cette association, je n'ai pas fait grand-chose. J'ai déjà pris la parole lors d'un colloque pour parler de mon livre et du pourquoi de ce livre. Et je partage plusieurs publications de l'association afin de sensibiliser un plus grand nombre.
Quelles compétences et expériences as-tu acquises grâce à ton engagement auprès de l'association Haki Za Wanatsa ?
Depuis que je suis dans cette association, j'ai appris beaucoup de choses sur mes droits en tant que femme. Et cela m'a permis de les défendre sans crainte. J'ai également plus d'aisance dans la prise de parole en public. Je pense réellement que c'est l'une des associations les plus engagées à Mayotte et il ne faut vraiment pas hésiter à les contacter. Elle est là pour tout le monde.
Comment as-tu géré le stress et les défis liés à la préparation de ton baccalauréat tout en menant d'autres projets en parallèle ?
Pour gérer mon stress, je révise beaucoup pour me rassurer et je pratique également une activité sportive. Mais tout cela, j'y arrive encore une fois grâce à un emploi du temps de vie, qui me permet de ne pas perdre du temps à ne rien faire.
Tu mentionnes que tu as un mentor. Quel rôle joue-t-il dans ta vie et ton développement personnel ? Peux-tu nous parler de son impact sur toi ?
Mon mentor est Nicolas Puluhen. Comme je l'ai dit, je l'ai rencontré grâce à mon livre. C'est une personne formidable, au grand cœur. Il m'aide énormément à aller mieux et à avancer. C'est une des premières personnes vers laquelle je me dirige lorsque j'ai besoin d'aide ou de conseils. Ça ne signifie pas que je fais toujours tout ce qu'il me demande… loin de là. Mais c'est une personne en qui j'ai confiance et qui est sincère dans ses actions.
Quels conseils donnerais-tu à d'autres jeunes de 18 ans qui cherchent à trouver un mentor ou à maximiser leur relation de mentorat ?
Le conseil que je leur donnerai est d'être capable de montrer qu'ils sont des personnes bienveillantes et déterminées. Il faut également montrer son potentiel pour susciter de l'intérêt au mentor. En fait, je pense qu'il faut juste montrer qu'on a des valeurs et qu'on est déterminé à aller au bout de ce qu'on veut.
Sciences Po est une institution prestigieuse. Comment t'es-tu préparée pour y être acceptée et qu'est-ce que cela représente pour toi à ce stade de ta vie ?
Pour me préparer à passer le concours de Sciences Po, j'ai suivi depuis la classe de première des ateliers Sciences Po au lycée des Lumières. C'est un atelier qui nous prépare à passer le concours en nous faisant des écrits et des oraux blancs. On fait aussi des analyses d'images et on a également fait d'autres exercices qui nous ont énormément préparés. Aujourd'hui, réussir Sciences Po est une fierté immense pour moi. Parce que je vous l'avoue, je n'arrive toujours pas y croire, mais c'est une opportunité incroyable que je dois saisir pour ma réussite. Je sais qu'il faudra énormément bosser mais de toutes les façons partout il faut bosser et cela ne me fait pas peur.
Quelles sont tes aspirations pour l'avenir, tant sur le plan académique que professionnel ?
Je ne sais pas encore ce que je souhaite faire plus tard. Mais le milieu politique et le secteur humanitaire m'intéressent énormément. Mais je souhaite exercer un métier qui me permette de me rendre utile, d'être un plus pour l'humanité. Par exemple, travailler dans une organisation intergouvernementale comme l'ONU.
Ton parcours est vraiment inspirant. Quel message souhaiterais-tu transmettre aux jeunes de ton âge qui te regardent aujourd'hui ?
Mon parcours est le parcours de beaucoup de jeunes à Mayotte. Je dirai que je me suis juste démarquée par ma détermination à réussir malgré les épreuves de la vie. Avoir une scolarité normale à Mayotte n'est pas facile mais cela ne doit en aucun cas être un frein à la réussite. Alors mon message à la jeunesse mahoraise est le suivant : “Quand on veut, on peut !” C’est une phrase que mon professeur d'histoire géographie en 6ème, M. Mlamali nous répétait souvent en classe. Et je peux vous assurer qu'en travaillant très dur et passionnément elle devient vraie. On a à Mayotte des jeunes talentueux mais souvent ils doutent d'eux et se mettent des barrières. Je n'ai rien d'extraordinaire, au contraire j'ai toutes les raisons pour abandonner et baisser les bras. Mais je persévère quand même. Si je le peux, pourquoi pas vous ?
Quels sont les principaux obstacles que tu as rencontrés sur ton chemin, particulièrement en tant qu'élève de terminale, et comment les as-tu surmontés ?
En terminale, les difficultés que j'ai dû surmonter sont bien nombreuses. Mais les plus difficiles étaient de devoir manquer des cours parce qu'ils n'y avaient pas de bus qui circulaient à cause des conflits ou manifestations. Rattraper ses cours était compliqué parce que je ne pouvais pas me payer un taxi tous les jours pour me rendre au lycée et je n'avais pas d'internet à la maison. Mais heureusement, j'ai des personnes formidables qui m'avaient acheté des manuels afin d'avancer au mieux.
Peux-tu partager une anecdote ou un moment marquant de ton parcours qui t'a particulièrement influencée ?
Il y a énormément d'anecdotes et de moments qui m'ont influencée dans ma vie. Mais je pense que les moments les plus importants à citer sont ceux que j'ai passés en 6ème. En effet, en 6ème j'ai rencontré des profs qui m'ont parlé de leur parcours scolaire qui ont été difficiles et cela m'a permis de prendre conscience que parfois l'obstacle est le chemin.
Quel est le livre qui t'a marqué et qui a influencé ta vie ?
Il n'y a pas simplement un livre unique qui m'a influencée. Je pense que chaque lecture m'a un peu influencée. Mais si je dois en citer un, je dirais celui de Malala Yousafzai : Moi, Malala. C'est un livre autobiographique qui raconte son histoire et les difficultés et les risques que les filles et femmes rencontrent en Afghanistan pour accéder à une éducation. Malala est pour moi un modèle qu'il faut suivre.
Comment vois-tu ton rôle en tant que modèle pour les jeunes de ta communauté et au-delà ?
Je ne pense pas que je sois un modèle. Je trouve que c'est un peu exagéré. Mais si par mon histoire et mon parcours scolaire je peux encourager des élèves et les motiver à persévérer dans leurs études ou autres, cela me fait énormément plaisir. En effet, je pense que c'est important que les jeunes de Mayotte comprennent qu'ils ont des capacités et des talents comme tout le monde. Il suffit juste d'y croire… et de bosser pour réussir.
Quelle est ta citation préférée ? Pourquoi ?
Ma citation préférée est celle de mon ancien professeur d'histoire géographie, M. Mlamali déjà citée : “Quand on veut, on peut”. Cette citation m'a permis de ne jamais baisser les bras. Parce que je me dis que dans la mesure où tu travailles pour arriver à une destination précise, tu ne peux que gagner.
Comment restes-tu motivée et inspirée au quotidien malgré les défis que tu peux rencontrer, notamment en préparant ton baccalauréat ?
J'ai beaucoup de sources de motivation et d'inspiration. Mais la première reste ma curiosité et mon envie d'apprendre. Je pense que pour réussir il n'y a pas de secret, il faut être passionné par ce que l'on fait. Mais il y a des moments où c'est extrêmement difficile et dans ces moments-là, je pense à ma famille. Et je me dis qu'il faut avancer si je veux pouvoir l'aider.