Yasmine Nidhoire : Mère, entrepreneur et leader

Il faut parfois des années pour reconnaître le leadership d’une personne aussi engagée que Yasmine Nidhoire. Quelle est la force et l’impact qu’elle apporte à notre communauté? Incroyables. Elle figure parmi les pionniers des changements positifs. Mais ce qui est encore plus inspirant, c’est que derrière sa présence publique se cache une histoire personnelle de luttes et de triomphes. Quels défis a-t-elle surmontés? Yasmine a traversé des épreuves qui semblent insurmontables, transformant ces défis en une force puissante pour elle et pour sa fille.

Ce que j’adore dans ces entretiens, c’est être touchée par la véritable essence de la résilience et de la persévérance. 

Écouter son histoire m’a profondément émue, et aussi surprenant que cela puisse paraître, elle a également réussi à me faire rire. Yasmine est une véritable leader, et Mayotte a une chance incroyable de pouvoir compter sur une femme de sa trempe. Je vous invite à découvrir son histoire.

Bonne lecture,

Racha Mousdikoudine

Écrivaine,

Fondatrice des Éditions Soma School

 


Entretien avec Yasmine

 

Qui es-tu ?

Je suis une jeune femme mahoraise, entrepreneuse, maman et politicienne malgré moi. Quelle est ta fonction actuelle? Je suis adjointe au maire, chargée de l'aménagement et de la communication à Koungou. Dans le cadre du film Koungou, j'ai participé à des réunions avec Naftal jusqu'à la sortie du film, où j'ai pu contribuer à ce beau projet en donnant des orientations.

 

Quelle est ta plus belle mission ?

Ma plus belle mission, c'est ma fille. Quand j'arrive à me dégager du temps pour profiter d'elle et partager ses journées, j'en suis fière car c'est ma plus belle réussite. Pourquoi est-ce ta plus belle casquette? Être maman est ma plus belle casquette.

 

Quelle est ton expérience en tant que cheffe de famille ?

J'ai perdu mon mari en 2017, trois mois avant mon accouchement, à cause d'un arrêt cardiaque. Nous avions ce projet entrepreneurial pour avoir la souplesse et la liberté d'entreprendre. Lui était dans le BTP et moi dans le social. Nous avons traversé un parcours de combattant avec les PMA pour concevoir notre enfant. Il n'avait que 28 ans. Après son décès, plus rien n'avait de sens pour moi, mais je me suis accrochée à mon enfant. J'ai tenu bon pendant les trois mois restants de ma grossesse, me disant qu'il fallait continuer. Comment as-tu trouvé la force? C'est comme s'il m'avait laissé un mode d'emploi. Après l'accouchement, j'ai poursuivi notre projet entrepreneurial.

 

Comment as-tu débuté ton parcours entrepreneurial ?

J'ai analysé les besoins de Mayotte. Sur internet, il n'y avait qu'un seul prestataire dans le service à la personne. N'étant pas entrepreneuse de formation, je me suis intéressée aux franchises et "Générale des Services" m'a formée pendant six mois pour que je puisse les représenter à Mayotte. Mon père gardait ma fille pendant que je faisais les allers-retours à Castres pour ma formation Bachelard RH. La formation finale devait se faire à Angers. Mon père, ne pouvant pas rester seul toute la journée avec la petite, a proposé de l'emmener à Mayotte. J’'ai pu l'inscrire à la crèche de Kangani. Pourquoi as-tu accepté? J'ai été honnête sur ma situation et j'ai souhaité avoir la possibilité de parler à ma fille par vidéo 15 minutes par jour. À sept mois, ma fille est partie à Mayotte.

 

Comment as-tu surmonté les défis financiers ?

Ma fille est restée trois mois à Mayotte avant que je la récupère. J'ai raconté mon histoire à l'assistante maternelle à laquelle j'avais fait appel. Je n'avais aucun rond, car j'étais au RSA après mon congé maternité. Une fois, j'ai même dormi chez elle car j'étais à la bibliothèque jusqu'à 22h00. J'ai rencontré de bonnes personnes sur mon chemin. Pourquoi est-ce important? Je suis restée quelques mois à Toulouse et ma fille avait 1 an et demi lorsque je suis rentrée.

 

Quelles difficultés as-tu rencontrées en tant que cheffe de famille ?

J'ai eu honte parfois de devoir expliquer ma situation, de peur que les gens pensent que j'ai fait ma fille toute seule. Mais j'ai travaillé sur moi. J'ai caché ma vie personnelle à tout le monde mais j'ai envie que cela puisse inspirer d'autres. Même si on vit le pire, ce n'est pas la fin de tout. J'ai fait des choix difficiles, mais aujourd'hui, nous nous en sortons bien financièrement. Pourquoi avais-tu honte? Nous avons été beaucoup séparées, ma fille et moi. J'avais honte d'être la femme de l'homme qui est parti trop tôt. Selon moi, ce n'est pas une obligation d’être à tout prix mariée, avoir un mari ok mais qu’il soit une personne ressource, un témoin avec qui partager une magnifique et belle vie. Celui que j'ai eu a mis la barre très haut. J'essaie de donner cette force à ma fille, car il n'y a pas de famille type. La famille, c'est aussi elle et moi. Je n'ai jamais menti à ma fille. Elle est très mature pour son âge.

 

Peux-tu raconter ton cheminement par rapport à l'entrepreneuriat ?

Je ne voulais pas y aller seule car je voulais éviter certaines erreurs. Le concept de franchise me convenait parfaitement. J'ai appelé une centaine d'entreprises. J'ai même failli m'orienter vers l'intérim. Pourquoi revenir au social? Après avoir reçu deux refus, je suis revenue dans le social car je voulais donner mon temps et apporter mon aide. Je voulais accompagner des personnes âgées et celles ayant besoin de faire garder leurs enfants.

Je n'avais ni un bac+3 ni les cinq ans d'expérience requis, donc j'ai dû valider mon Bachelor RH. J’ai dû suivre une formation durant laquelle on apprend à gérer une agence et on est accompagné par des spécialistes de chaque aspect de l'entreprise, comme les RH et la comptabilité. À Mayotte, il était compliqué de trouver un local. J'ai travaillé au premier étage de la maison de ma maman pendant un an et je ne trouvais que des logements (local) à 2000 euros. Ma première salariée, je l'ai payée pendant trois mois avec mon RSA. Je recevais 800 euros et je la payais 500 euros.

 

Comment as-tu surmonté les obstacles financiers ?

Il est vrai qu'il y a des abus, mais il y en a partout. Sans le RSA, je n'aurais pas tenu. Les financements et les banques à Mayotte m'ont tous refusé car ils voulaient que j'aie un salaire. Cela signifiait abandonner tout. Finalement, c'est ma mère qui a emprunté 10 000 euros chez l'ADIE et j'ai pu obtenir des prêts deux ans après l'ouverture. Pourquoi cette persévérance? J'ai eu beaucoup de peine mais je comprends. Quand on a une idée en tête, il ne faut jamais voir le côté négatif. Je voulais créer mon emploi et je disais toujours "faites-moi confiance". Peut-être aurais-je pu aller à l'Éducation Nationale, mais je ne voulais pas. J'avais ce besoin de réaliser ce projet car c'était un projet familial. J'ai tenu bon même si c'était très dur et les résultats m'ont donné raison. À l'époque, je lisais beaucoup sur le développement personnel. La vie, c'est surmonter les obstacles. Je me suis beaucoup outillée.

 

Quelles ont été tes ressources ?

Ma famille. Avant de rentrer à Mayotte, j'ai fait du théâtre pour pouvoir parler à des inconnus. Pourquoi cette démarche? Je vivais avec un sentiment de honte, d'échec, de vide et je n'arrivais pas à parler. J'ai donc suivi un stage d'un mois et demi au théâtre. Cela m'a beaucoup aidée à prendre confiance en moi en affrontant le regard des autres. Le Covid m'a permis de me cacher, de prendre soin de moi et de grandir avant l'ouverture en 2021. Le livre que j'écoutais tout le temps est Socrate “Ce qui ne dépend pas de toi”. Je le connais par cœur et il m'a permis de lâcher prise, avec l'aide des psychologues. Je ne suis pas fermée à refaire ma vie avec quelqu'un car je crois en l'amour, mais je ne veux pas revoir à la baisse les valeurs qui sont les miennes. Aujourd’hui j’ai un ami, ma fille, mon emploi et je suis employeur… Ce qui me rappelle la célèbre citation de Jean d’Ormesson : "Et si vous parlez des larmes, il ne faut pas oublier les roses. Et si vous parlez des roses, il ne faut pas oublier les larmes. Merci pour les roses, merci pour les épines."

 

Comment as-tu réussi à obtenir ton local ? 

Le local que j'ai actuellement, j'ai eu du mal à l'avoir car à plusieurs reprises j'ai failli ne pas l'obtenir. Il fallait créer une SCI. Pourquoi créer une SCI? J'ai finalement créé la SCI avec ma fille qui avait 2 ans à l'époque. Lorsque je l'ai créée, la zone a pris de la valeur et la banque ne voulait pas me donner l'argent car le local était très cher. J'ai appelé tout le monde. Mon dossier n'a pas été traité à Mayotte. J'ai dû contacter le directeur régional de la BRED Réunion Mayotte sur LinkedIn. La procédure d'achat a duré 2 ans et quand j'ai sollicité le directeur de la BRED, cela a duré 4 mois pour débloquer la situation. À Mayotte, mon dossier n'a pas été traité. Ensuite, j'ai sollicité un financement à Mayotte pour l'aménagement de mon local. Pourquoi était-ce important pour toi? Quand le directeur est arrivé à Mayotte, je lui ai envoyé un message sur LinkedIn et je l'ai invité dans nos locaux pour qu'il voie ce qu'il avait financé.

 

Quelle a été la réaction des banques ?

“Le mot abnégation et courage sont décernés à Mme Nidhoire.” Ont été ces mots lors de sa venue dans nos locaux. La BFC m'avait donné un avis défavorable le 23 décembre et le 24 décembre 2022, j'ai eu l'avis favorable de la BRED. En avril 2023, j'ai eu les clés de mon local. Même avant l’obtention du prêt, j’étais convaincue que mon rêve allait se concrétiser : En septembre 2022, je devais créer le message du standard téléphonique et j'avais mis l'adresse de Haut Vallons. Pourquoi cette anticipation? Ma sœur me prenait pour une folle car je n'avais pas encore le local.

 

Quels sont tes objectifs pour ton local ?

Certains professionnels me disaient que je n'avais pas besoin d'un beau local. Mais pour moi, pour mes 80 salariés aujourd'hui, j'ai envie de leur offrir un bel endroit où elles sont fières de venir travailler. Pourquoi est-ce si important pour toi? Ce n'est pas qu'une histoire de serpillière et de balai. Ce que nous faisons est très important. Il est affolant de perdre son autonomie, et les personnes âgées sont souvent seules. Nous leur rendons leur dignité en les aidant à faire leur toilette. Lorsqu'ils reçoivent des visites, ils sont fiers d'être dans une maison propre et entretenue. En tant que cheffe de file, notre local envoie un message : nous croyons en ce que nous faisons et c'est sérieux.

 

Pourquoi continues-tu à te former ?

J'ai validé mon bac+4 et je vais bientôt valider mon bac+5. Pourquoi ne pas arrêter là? Ce n'est pas parce qu'on a un niveau d'études inférieur ou qu’on a dû arrêter ses études à un moment donné qu'on ne peut pas réaliser de grandes choses. Il n'est jamais trop tard pour reprendre ses études.

 

Quel est ton message pour celles qui te lisent ?

Il ne faut pas avoir de plan B. Si tu as un plan A, il n'y a pas de raison pour que l'univers ne mette pas tout en œuvre pour que tu réussisses. Le plan A, on le retourne dans tous les sens. Il faut quand même être réaliste et s'armer de prérequis, comme le niveau de diplôme par exemple, pour pouvoir réaliser son rêve.

 

Quelle citation t'inspire au quotidien ?

"Le plus grand secret dans la vie est que vous n'avez pas besoin de savoir tout ce qui va arriver demain. Vous avez juste besoin de savoir que peu importe ce qui se passe, vous serez capable de le gérer." - Oprah Winfrey

 

Comment cette pensée positive influence-t-elle ta vie ?

Cette pensée positive d'Oprah Winfrey m'inspire au quotidien. Je crois fermement que la résilience et l'optimisme sont des forces puissantes qui nous permettent de surmonter les défis et de saisir les opportunités. En tant qu'entrepreneure, j'ai appris que chaque obstacle est une chance de grandir et d'innover. C'est cette mentalité qui me pousse à toujours aller de l'avant, avec confiance et détermination.

 

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