Elle décroche son bac à 26 ans et devient psychothérapeute
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J’ai rencontré Betty le 22 juin 2024 lors d’un Show Room à Saint Leu. Mais comme je ne crois pas au hasard, je pense que cette rencontre est l’œuvre de l’univers. Voici le message que m’a envoyé Patricia Cadet : “Cc Racha, comment vas-tu ? Ma sœur accueille une amie créatrice de bijoux de Madagascar qui va faire un show room à sa maison ce samedi 22 juin. Il y aura des bijoux créations uniques avec de belles pierres semi-précieuses. Il y en aura pour tous les prix et ça vaut vraiment la peine de faire un petit tour, même juste pour le plaisir des yeux. C’est à partir de 11h et jusqu’à l’apéro du soir.”
Trois mots-clés étaient présents dans ce message et ont su retenir mon attention : “bijoux”, “faire un petit tour” et “apéro”. Patricia me connaît, j’adore faire plaisir à mes papilles. Alors, j’y suis allée avec mes filles. Je n’ai rien acheté ce jour-là et ce n’est que partie remise. Le sourire radieux de Betty ainsi que son bonjour chaleureux m’ont conquise. Nous n’avons pas pu échanger ce jour-là, mais ce n’était que partie remise, puisqu’aujourd’hui, vous pouvez découvrir son histoire.
Bonne lecture !
Racha Mousdikoudine
Qui es-tu ?
Je m’appelle Betty Exposito, j’ai 52 ans. C’est difficile de parler de soi. Je me vois plus comme un phénix. Je suis une femme indépendante, ça c’est sûr, volontaire, empathique et bienveillante, mais je ne lâche rien. Lorsque j’ai un objectif, je me donne les moyens d’y arriver. C’est assez étrange car j’ai découvert qui j’étais et l’histoire de mon enfance une fois que je suis revenue à La Réunion, et les pièces du puzzle manquantes se sont rassemblées.
Je n’ai pas eu une enfance malheureuse. J’ai vu des choses qu’il ne fallait pas voir, entendu des mots qu’il ne fallait pas entendre, mais j’ai toujours eu des câlins, de l’amour de ma maman et à manger sur ma table.
J’ai eu un trou de mémoire jusqu’à mes 6 ans. Je n’ai pas de souvenirs de moments passés avec mon père pourtant de 2 à 6 ans, j’ai vécu avec lui. Mais c’est en revenant ici que j’ai rassemblé les pièces du puzzle. J’ai appris que ma maman a fait ce qu’elle a pu avec les moyens qu’elle avait à l’époque. Elle a organisé mon enlèvement et a changé mon prénom. Il n’y avait aucune violence, mais elle en voulait à mon père de nous avoir abandonnées quand elle est tombée enceinte car ils n’étaient pas mariés. Une fois qu’elle a eu un travail et une maison, elle a organisé mon départ à l’insu de mon père. Pendant des années, je n’ai pas revu mon père et lorsque je posais la question à maman, elle me répondait que je n’avais pas de père.
À mes 11 ans, une personne de ma famille a organisé un séjour pour les vacances scolaires sur l’île de La Réunion chez ma grand-mère. Un jour, un homme débarque et me dit qu’il est mon père. Il m’appelle Michelle. À partir de ce moment, j’ai renoué les liens avec mon papa qui m’a fait venir chaque vacances. Jusqu’à maintenant, on apprend toujours à se connaître. Nous nous entendons très bien. Avec la vieillesse, il change. On ne peut pas dire que lorsqu’on voit une personne deux mois une fois par an, on la connaît suffisamment. Lorsque je suis revenue, tout était nouveau pour moi car je n’avais aucun souvenir de La Réunion.
En plus, j’ai appris que j’avais un autre frère. J’étais une petite fille émerveillée qui aimer croquer la vie à pleines dents. En plus, je vivais dans deux mondes différents. Ma maman a des enfants et gagne le SMIC tandis que mon père a un niveau de vie plus élevé.
Chez lui, par exemple, je ne faisais pas la vaisselle contrairement à chez ma mère.
Quel est ton parcours scolaire ?
J’ai toujours été très studieuse et très volontaire, mais mes notes étaient très basses. Mes professeurs notaient mon comportement exemplaire dans le bulletin : “élève très sérieuse”, mais les notes ne suivaient pas. Ce qui m’a sauvée, c’est mon comportement exemplaire. Je connaissais par cœur le théorème de Pythagore, mais je ne pouvais pas l’appliquer dans la réalisation d’un exercice. Ce ne sont pas les notes qui me faisaient perdre confiance en moi, mais le regard des autres et de certains professeurs.
Par exemple, lorsqu’ils rendaient les copies ils ajoutaient : “Toi Betty, tu ne passes pas au-dessus de la moyenne”. Ce genre d’attitude me faisait beaucoup de mal. À force d’entendre : “tu es nulle” ou “tu finiras avec un manche à balai dans la main”, cela marque à vie. “Regarde ta cousine, elle fait mieux que toi.” me disait-on souvent.
Et donc tu t’es arrêtée ?
Je ne m'arrête pas, je continue et je rencontre des personnes qui m'élèvent, qui voient le potentiel que j'ai. J'ai eu l'opportunité de rencontrer des professeurs qui prenaient de leur temps pendant la pause déjeuner pour m'aider. Rencontrer des employeurs qui m'ont encouragée malgré mes erreurs et cela m'a donné l'envie de soulever des montagnes.
Je me suis dit que si je suis capable de faire ça, je peux faire bien plus encore demain. À chaque fois que je me fixais des défis, je prenais le temps nécessaire pour les relever.
J'ai obtenu mon BEP secrétariat avec juste la moyenne, mais ce n'est pas grave. J'ai ensuite brillamment réussi l'examen de secrétaire médical.
Enceinte de ma deuxième fille, j'ai obtenu mon baccalauréat professionnel à 26 ans. Puis, j'ai continué avec une première année de BTS.
Alors, je me suis concentrée sur ma carrière. Ensuite, j’ai rencontré une personne qui m’a fait aimer le fait de travailler avec les enfants et je me suis trouvée en elle car les valeurs qu’elle avait au travail étaient les valeurs que j’avais avec mes propres enfants. J’ai passé le DEAF (diplôme d’état d’assistant familial) à 38 ans.
Avec le recul, quelle analyse fais-tu de tes difficultés ?
C’est le premier pas qui est compliqué à faire, une fois qu’on l’a fait, c’est bon car les peurs ne sont qu’illusion. Donc, j’ai exercé en qualité d’assistante familiale pendant 12 ans. J’ai été référente professionnelle pour les nouvelles assistantes familiales qui suivaient leur formation. J’ai été représentante des salariés dans le comité d’entreprise. J’ai suivi plein de formations. je suis sortie de ma zone de confort.
Il y a un an et demi, j’ai arrêté d’être assistante familiale, en fait c’est plutôt l’univers qui a décidé. Je continuais d’exercer ici à la Réunion et j’avais pris en charge un petit de 18 mois jusqu’à ses 10 ans et il fallait le ramener en France hexagonale, et c’est moi qui ai été désignée pour le faire. J’ai démissionné car je travaillais avec une association de Saint Pierre en tant qu’assistante familiale et je ne me sentais pas de m’occuper d’autres enfants. Mon petit bout de chou que j’ai dû ramener était autiste et j’étais très attachée à lui. De plus, le département 82 ne pouvait plus me confier d’enfants donc ils m’ont licenciée.
Avec le DEAF, on peut travailler dans n’importe quel département mais j’étais rattachée au 82. J’avais décidé de rester à La Réunion donc ils ont été contraints de me licencier.
Et après ?
J’ai fait une grosse dépression pendant un an suite à la perte de ce petit garçon que je considérais comme mon 3ème enfant et aussi j’avais perdu mon boulot, donc je n’avais plus repères. Il y a des hauts et des bas, après tu te stabilises mais tu ne guéris jamais entièrement de ce choc émotionnel. J’ai fait une VAE pour être technicienne de l’intervention sociale et familiale pour travailler chez les familles directement mais plus chez moi. J’ai eu un poste à Saint Paul et en parallèle j’ai passé mes différents modules pour être psychothérapeute. Avec mes deux diplômes, il y a des modules que je n’avais pas besoin de passer grâce aux passerelles.
Quelle est la différence entre thérapeute et psychologue ?
Comment vis-tu ton nouveau métier ?
Je l’adore. (Elle me répond avec un sourire lumineux et le regard pétillant) J’en suis ravie et je continue à me former. Il y a 15 jours, j’étais en formation SETMO avec les mouvements oculaires et j’ai fait aussi une formation de constellation familiale.
La constellation familiale est un outil thérapeutique qui permet, quand on est dans une famille et qu’on a besoin de retrouver sa place en raison des conflits, d'interchanger les places pour avoir une vision différente de sa position par miroir interposé. Cela permet de libérer les tensions et de calmer les crises, permettant une fluidité dans les relations.
Par exemple : des grands frères qui jouent le rôle du père en imposant des horaires à leur sœur car on leur a dit un jour : “tu es l’homme de la maison” et c’est cela qui crée le conflit. On part des valeurs des personnes. L’objectif est que le patient reprenne sa place de mère, de frère, ou de père comme on peut l’attendre.
Malheureusement, des événements extérieurs peuvent bouleverser cette stabilité familiale : par exemple, une maman qui tombe malade, c’est le grand frère qui va jouer son rôle et il en sacrifie son rôle d’enfant, mais à quel prix. Le soutien oui, mais l’oubli non. L’oubli, c’est le fait d’oublier que c’est un enfant, et qu’il n’a pas à prendre des responsabilités d’adultes car plus tard, il aura suffisamment le temps de prendre des responsabilités d’adultes. Du coup, il ne s’amuse pas et on le précipite dans la dure réalité de la vie.
Quand on fait de la constellation, on prend en compte le transgénérationnel, ce qu’on a hérité de nos parents comme valeurs, et ces valeurs ne sont pas forcément au goût du jour et pour certaines communautés, elles ne sont plus valables.
Par exemple : nos arrière-grands-parents ne divorçaient pas et on ne te demandait pas ton avis pour avoir des enfants que tu aimes ou non ton mari. Pour nos parents, ces schémas se perpétuent parfois : “il faut tenir bon, rester marié pour les enfants” et notre génération se reconvertit professionnellement, les femmes acquièrent un bien immobilier seules, et la génération de nos enfants prend un ordinateur et travaille dans n’importe quel pays.
Il y a une parole qui m’a énormément marquée de ma mère lorsque je lui ai dit que j’allais divorcer. “Mais tu as une super maison, un mari adorable, une voiture et tu vas tout perdre.” et jamais elle n’a demandé pourquoi je divorçais.
Je lui explique quand même et elle insiste sur le fait que mon ex est adorable. Je lui réponds : “mais il n’est jamais là” et elle insiste qu’il est adorable. Comme elle a eu une vie compliquée, elle veut le meilleur pour moi et pour elle ce sont toutes ces choses-là qu’elle-même n’a pas pu avoir car elle s’est mariée très tard. C’est comme le travail, lorsqu’on travaille dans une collectivité, pour nos parents c’est parfait car cela représente la sécurité.
Comment tu as surmonté tout cela ?
J’ai changé de travail. Je suis TISF à Saint Paul 20h par semaine et le vendredi et samedi matin, je suis thérapeute. En plus de cela, j’ai acheté ma maison à l’âge de 52 ans. Aucune banque ne m’a suivie et j’ai fini par acheter la maison par mes propres moyens avec le soutien de ma famille. C’est comme une micro-entreprise car tout le monde a participé à l’achat et j’en suis vraiment fière.
Récemment, au cabinet de thérapeute, il y a mon nom qui apparaît sur la plaque et je l’ai envoyé dans le groupe WhatsApp de la famille et je suis très soutenue car j’ai tenu bon.
Quel que soit le parcours, on peut se fixer un objectif et tout faire pour l’atteindre. Il y en a qui sont thérapeutes à 25 ans et il y en a comme moi qui ont mis plus de temps, mais c’est que du bonheur.
Les deux dernières années n’ont pas été faciles car suite à la dépression, mon corps m’a lâché à tel point que pendant 3 mois, j’étais en hôpital de jour et je me battais en même temps pour avoir ma maison. Cela a même laissé des traces sur mon corps. Tous les jours, je prends 15 minutes le matin et 15 minutes le soir pour redonner de la force à mon corps car il n’était que douleur pendant ces deux dernières années. Ce n’était pas qu’émotionnel, c’était physique aussi. C’est pour cela que je me vois comme un phénix.
La thérapie comportementale cognitive traite les phobie, TOC, addiction. Mon role est d'aider mes patients a transformer les pensées négatives en pensées positives, notamment en voyant le verre à moitié plein au lieu de le voir à moitié vide.
Malgré toutes les embûches, cette satisfaction aurait été moindre si cela avait été facile, donc j’apprécie encore mieux ma réussite aujourd’hui.
Quel est ton message ?
Croire en ses rêves et croire en soi car on est capable de le faire, il n’y a aucune limite car les seules limites, c’est celles qu’on se fixe soi-même.
Quand j’étais toute petite, je disais à maman : “j’aurai ma maison de rêve sur l’île de La Réunion avec vue sur mer” et mon rêve s’est réalisé, même si c’est 52 ans après.
Je dirai aussi ton passé fait de toi ce que tu es mais tu n’es pas que ton passé.
Cela n’a pas été facile d’apprendre à vivre seule car j’ai toujours vécu entourée. En plus, j’ai toujours eu des enfants d’accueil. J’ai divorcé et mes enfants ne vivent plus avec moi donc j’appréhendais, mais finalement, je me dis que c’est bien d’être chez soi et d’être seule.
J’apprends à me connaître car pour se connaître réellement, il faut être seul avec soi-même.
Pour contacter Betty, rendez-vous sur : https://www.linkedin.com/in/betty-exposito-556803195/
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