Interview écrite Jennifer MARTINEZ

1. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Quel est votre nom, votre prénom et votre âge ?

Je m’appelle Martinez Jennifer et j’ai 48 ans.

D’où venez-vous et où vivez-vous actuellement ?

J’ai vécu à Bordeaux et je vis à Saint-Denis de La Réunion depuis 2014.

Que faites-vous dans la vie ? (Profession, projets, engagement associatif, bénévolat, entrepreneuriat)

Je suis à la fois assistante de gestion administrative freelance mais également intervenante en éveil musical freelance pour le jeune public.

Je suis nouvellement adhérente de l’association Femmes Entrepreneures et Leaders de La Réunion (FELR)

Coté culture, je suis adhérente et musicienne au sein d’une association d’ensemble de percussions brésiliennes (batucada) depuis presque 3 ans.

Qu’aimez-vous le plus dans la culture/valeurs de votre pays ou du pays dans lequel vous vivez aujourd’hui ?

J’aime le sud-ouest de France métropole pour son architecture moderne ou ancienne (pierre, briques, torchis, maisons avec colombages), pour ces immenses plages et ses villes balnéaires.

J’aime La Réunion car elle possède une culture riche et diversifiée, influencée par ses origines multiculturelles. Il est indispensable pour moi de vivre dans un mélange ethnique avec des spiritualités différentes ainsi que le respect et la tolérance de toutes les croyances religieuses. J’apprécie énormément mon environnement de vie tant pour la biodiversité avec ces paysages spectaculaires qui nous entourent que par ses variétés de climats. Et j’aime plus que tout le soleil, la lumière et l’horizon de l’océan indien !


2. Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel et académique ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées et quelles stratégies avez-vous mises en place pour les surmonter ?

J’ai toujours été une enfant dynamique, altruiste, et impulsive. Grande (plus que la moyenne de l’époque) et forte physiquement (plus que les garçons de l’époque !).
Je ne me souviens peu de l’école élémentaire où malgré ma forte personnalité, je subissais parfois du harcèlement physique de 3 frères, jusqu’au jour où mon père a réglé le problème avec l’un d’eux !

C’est au collège où tout a été trop vite. J’ai redoublé ma 6ème et j’ai souffert de me retrouver avec des plus petits (encore par la taille ! 1.72m à 12 ans !).
Ma 2ème année de 6ème s’est mieux passée, j’avais gardé tous mes cours de l’année précédente et comme mes professeurs ne changeaient pas de programme ni de questions aux évaluations, alors j’avais que des bonnes notes !

Évidemment, en 5ème je subissais mon propre leurre ! A peine arrivée à la fin de l’année avec des notes catastrophiques, sauf en dessin, on proposa à mes parents que j’intègre un CAP en apprentissage. Ma mère était d’accord et mon père absolument pas ! Il faut dire que je n’avais que 13 ans.

C’est comme ça que je passais en 4ème et 3ème, cette dernière que je finis par redoubler aussi !

L’école ou la manière d’enseigner ne m’intéressait vraiment pas ! Seuls 2 personnages m’ont marqué ! Mme Perrier, professeur de mathématiques en 4ème qui, pour nous apprendre les fractions, nous proposait de résoudre les problèmes en découpant une tablette de chocolat. Si on obtenait le résultat, on avait le morceau correspondant. Bien que je n’aie jamais rien pu gagner, par manque de confiance en moi et de rapidité, j’étais fortement intéressée par cette matière car tout me semblait logique !

Un autre professeur, dont je ne me souviens plus le nom, durant ma seconde 3ème, m’a également marqué. C’était une « armoire », il était impressionnant par sa carrure charpentée et sa taille (1.95m au bas mot !). Le genre de prof qui ne fallait pas chauffer au risque de voir passer sous son nez, une craie à toute vitesse ! Il enseignait la physique/chimie et je me passionnais soudainement pour l’écriture des molécules les plus fondamentales. Je me souviens que le premier jour de la rentrée, il avait indiqué à toute la classe que notre note était déjà de 10/20 sans contrôle, libres à nous de la faire évoluer ou non avec des devoirs ou des interventions sur cette matière. J’ai trouvé ça génial ! On partait tous du même niveau de moyenne !

Ces 2 enseignants étaient pour moi d’une grande originalité et je me sentais à l’aise avec ça !

Après des années collèges plutôt médiocres, il a fallu que je me décide sur mon sort après la 3ème.

J’ai opté pour un BEP. Mais lequel ? J’ai fait jouer mes relations, l’ex-femme de mon père (la 2ème après ma mère !) connaissait le directeur d’un lycée à Bordeaux. C’est avec un culot et un grand panache que je fis croire à ce monsieur, proche de la retraite, que je m’étais bien inscrite pour la cession BEP Vente Action Marchande, et c’est en prononçant le nom de ma belle-mère que le lycée m’ouvra ses portes !

Deux ans plus tard, en 1995, j’obtins, pas peu fière, enfin mon premier diplôme !

A l’époque, Paris était toujours la ville qui me faisait rêver pour pouvoir y travailler. Je partis donc sur un coup de tête, après avoir obtenu mon permis et mon premier véhicule : une Opel corsa rouge !

J’ai passé 4 ans à Paris. J’ai tout vécu.

D’abord hébergé chez la sœur d’un ami, je me suis retrouvée au bout de 3 mois à dormir dans ma voiture. Cette année de 1996, il neigeait. Je ne voulais pas appeler mes parents pour qu’ils me viennent en aide. L’égo ! je voulais m’en sortir seule. Au bout de quelques mois, je finis par appeler le 115, un numéro d'urgence qui vient en aide aux personnes sans abri et en grande difficulté sociale. J’intégrais plusieurs hôtels pour une nuit par ci par là et je finis par intégrer un foyer avec 39 hommes de tout statut où j’ai toujours été quasiment la seule femme. Je dormais dans une pièce à part, je pouvais me nourrir et me laver en sécurité. Le matin, les bénévolats fermaient le centre et nous avions l’obligation de ne revenir que le soir pour le diner.

A force de sonner à toutes les portes, je finis par être embauchée dans un magasin de prêt- à-porter « Mistigriff » durant 18 mois. Mes collègues avaient remarqué ma difficulté financière et m’ont offert des sandwichs pour mes pauses déjeuners à tour de rôle. J’étais très touchée.

Une vieille femme à l’hébergement sociale, m’a prise sous son aile et m’a offert quelques mois de gratuité dans une chambre d’hôtel. Cette dame avait perdu sa fille de 20 ans, brulée vive dans un incendie et nous avions une complicité saine et agréable. Je ne sais plus ce qu’elle est devenue du moment où j’ai pu louer un studio par mes propres moyens à Levallois-Perret.

Ma vie sentimentale était parsemée de violences et de mensonges.

Mon embarquement par la brigade des stupéfiants un matin et une nuit en geôle, me décida de fuir définitivement Paris pour retrouver mes proches dans le Sud-Ouest de la France en 2001.

Écorchée sentimentalement, je rebondis pour me faire embaucher en qualité de conseillère téléphonique à Bouygues télécom durant 2 ans et demi et à Orange durant 1 an et demi.

On est en 2004, ma mère se suicide.

Je termine mes contrats d’intérim et profite de mes acquis FAFFT (équivalent du congé individuel de formation) pour me former en qualité de peintre en décors.
Visiblement déstabilisée, mon père m’avait proposé de travailler avec lui dans son entreprise d’agencements de stands pour les foires et les salons d’expositions.

J’obtins mon 2ème diplôme de peintre en décors en 2006.

Je travaillais quelque temps avec mon père et plus tard en tant que peintre en bâtiment (intérieur/extérieur) durant une année. Le métier, trop physique, je décidai de me former en tant qu’assistante administrative spécialisée dans le domaine du bâtiment.

Depuis 2008, j’ai pas mal travaillé comme assistante technique du bâtiment et dans plusieurs autres domaines (juridique, judiciaire, médical...). Ce métier est d’une grande polyvalence et nécessite un suivi méticuleux et une organisation rigoureuse.

En 2013, je m’octroi une pause pour revenir à ma passion : le chant ! C’est alors que je me forme pour devenir professeur de chant avec le coach Richard Cross. C’est à cette période que je fais la rencontre de Flavia, directrice d’une école de musique à La Réunion, qui me propose un poste d’enseignante en éveil musical dans sa structure.

En 2014, nous arrivons avec mon conjoint à La réunion et je deviens enseignante en éveil musical à la rentrée de 2015.
A mi-temps salariée les matins dans le domaine du secrétariat, mes journées se clôturent avec de l’éveil musical.

En 2016, je décide de faire une VAE et obtiens mon 3ème diplôme, le Bac Pro en Gestion administration.

Aujourd’hui, je partage m o n activité d’auto-entrepreneur avec ces 2 activités « passion » ne pouvant me résoudre à n’en choisir qu’une !

3. Quels défis avez-vous rencontrés pour trouver un logement stable, et comment les avez-vous relevés ?

A partir du moment où j’obtenais un contrat de travail, il n’y avait peu de problème pour avoir un logement. Le plus difficile était souvent d’avoir besoin davantage de finance pour le loyer d’avance, le déménagement, l’aménagement l’achat de mobilier.

C’était une autre époque ! Je n’avais pas internet, on avait des portables dont les communications étaient onéreuses et je n’avais pas besoin, ni l’envie de superflus matériel ! Malgré une situation financière modeste, les aides ponctuelles de mon père et des parents de mon conjoint suffisaient à nous loger dignement. Je ne voulais plus connaitre la médiocrité de mon passé !

4. Gérer ses finances peut être un vrai casse-tête. Avez-vous rencontré des obstacles à ce niveau, et comment les avez-vous surmontés ?

Je n’ai jamais su gérer mes finances. Tout le temps à découvert. J’ai appris, il y a peu de temps, à réguler mon compte de la manière la plus simple qu’il soit.
J’ai créé un tableau Excel avec la somme de toutes mes charges personnelles, comme la règle des 6 jarres :

a. Mes charges (loyers, crédit, assurances véhicules/maison, EDF, eau, mutuelle, alimentation...)

b. Épargne : minimum 10% de mon revenu

c. Investissement : minimum 10% de mon revenu (biens immo)

a. Education : minimum 10% de mon revenu (investissement personnel : développement personnel, formation...)

b. Plaisirs : minimum 10% de mon revenu (sorties, voyages, vêtements...)

c. Don : Uniquement si possible à hauteur de 5% de mon revenu

d. Cette démarche m’a ouvert les yeux surs :

e. Mon estimation à l’argent

f. Les sources d’insatisfactions dans ma vie

g. La vibration matérielle de l’argent

h. La faculté à définir des objectifs pour les atteindre

5. La recherche d’un emploi est souvent un défi en soi. Quelles démarches ou astuces vous ont permis de trouver un travail qui vous correspond ?

Nous sommes en 2024 et je travaille depuis 1996. Lors de mes 4 années vivant à Paris, je me suis endurcie, j’ai muri, j’ai été confronté à la faim, le froid, aux sournoiseries de cette ville et en prenant du recul c’est la force de s’en sortir de survivre qui a forgé mon caractère. Tout naturellement, j’ai travaillé dans le domaine de la vente puisque j’avais obtenu mon diplôme. J’ai fait beaucoup de petits contrats intérimaires.

La suite de mes expériences manuelles, artistiques ou administratives n’ont été qu’opportunités, curiosités et découvertes de passions.

6. Votre évolution professionnelle : quelles difficultés avez-vous dû affronter pour progresser, et quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent évoluer dans leur carrière ?

Une des premières difficultés étaient celle du CV « banc » ! Aujourd’hui, je peux valoriser n’importe quel parcours même sans expérience ! Mais j’avoue que j’ai longtemps été révolté lorsqu’on ne me donnait pas ma chance en me disant que je n’avais pas d’expérience ! Je retorquais souvent aux dirigeants d’entreprise avec un brin d’ironie « c’est sûr que si personne ne m’en donne la possibilité, alors je n’aurais jamais d’expérience ! ». Mon impulsivité ne m’a jamais avantagé ! Il m’a fallu être patiente et convaincre de ma fiabilité.

Le deuxième « frein » était mes diplômes. Sans le BAC, on offrait plus de poste à ceux qui l’avait ! C’est pour cette raison que j’ai décidé à 40 ans de passer un BAC PRO en VAE.

Par ailleurs, mon expérience du bâtiment était tout autant compliquée ! En 2006, je ne voyais aucune femme sur les chantiers. Entre blagues sexistes et propositions malhonnêtes, j’ai passé quelques bizutages pour convaincre que je pouvais, par exemple, monter un échafaudage, porter deux futs de peintures sur 4 étages et surtout que je connaissais mon métier.

Je dirais que parfois, mon orgueil à vouloir démontrer autour de moi que « j’étais capable », m’a permis d’évoluer.

7. Créer un réseau professionnel solide est essentiel. Pouvez-vous partager vos réussites et défis dans la construction de ce réseau ?

Je l’ai mentionné plus haut pour cette opportunité de devenir enseignante culturelle et de venir vivre à La réunion que je ne connaissais pas du tout. C’est en rencontrant des personnes et en échangeant qu’on obtient parfois des réponses, des conseils, des opportunités. A l’heure des réseaux sociaux, qui n’existaient pas à mon début de carrière, les choses peuvent s’accélérer, mais je reste persuadée que le contact direct est plus impactant.

8. Si vous deviez transmettre un message aux personnes confrontées à des difficultés similaires, que leur diriez-vous ?

De quoi avez-vous besoin ?
Quelles sont vos compétences ? Vos passions ? Qui
pourrait vous aider ?
Dirigez-vous vers les personnes qui vibrent avec vos valeurs, vos projets.
Pour quoi vous souhaitez travailler (objectifs ?), je me rends compte que ce que je souhaite aujourd’hui c’est de combler ma famille, mes envies de voyager pour découvrir d’autres cultures...j’ai toujours pensé qu’il fallait travailler pour se nourrir et payer son loyer !!
Rêvez de ce que vous voulez faire et faites-le ! Peu importe les étapes, si vous focalisez sur votre objectif, si vous le vibrez, alors vous y arriverez, peu importe votre statut social !

9. Y a-t-il une cause ou un combat qui vous tient particulièrement à cœur (par exemple, l’éducation, l’environnement, la lutte contre les maladies, la pauvreté, ou les violences) ? Comment cela résonne-t-il avec votre parcours ?

Tout résonne !! Alors qu’avant je me considérai comme une extra-terrestre originale, je suis fière de ma sensibilité, mon humanité et mon altruisme.
L’éducation, l’éveil : c’est le début de la vie, les bases qu’un enfant doit recevoir avec l’AMOUR et la protection de son entourage. Un enfant nait sans savoir, les adultes ont le devoir de transmettre LA VIE dans l’honnêteté et la bienveillance.

L’environnement : difficile de comprendre l’absurdité de ce qui est fait contre l’environnement dans ce monde. On est arrivé à de tels points de non-retour en ce qui concerne l’agriculture, le pillement des forêts, la pollution avec des matières non dégradables, je suis attristée.
La lutte contre les maladies : pourquoi les gens sont malades ? Pour moi, nous vivons dans une société où la nourriture est modifiée, transformée, manipulée pour nous rendre malades et cela me sidère. Je ne comprends toujours pas et n’accepterai jamais l’incohérence de fabriquer du plastique, des poêles pour que ça nous tue ! mais le sujet est tellement vaste !

La pauvreté : Je ne sais pas si je peux prétendre d’avoir été pauvre, ce que je sais c’est qu’avec l’allocation handicapée de ma mère, nous devions manger au secours populaire et que nous volions de la nourriture dans les magasins. Mais, bizarrement, je n’ai pas eu l’impression de manquer de quoique ce soit ! Ceci

Les violences : Sujet épineux. Bien-sûr, je suis contre toutes formes de violences ! Ma mère s’est suicidée à cause d’un conjoint extrêmement violent et la justice ne lui a donné que 3 mois de sursis ! J’ai été en colère de très longues années pour ça ! Moi- même, j’ai vécu cela une fois, avant d’avoir eu le courage de retourner dans ma famille. Trop peur de mourir et de reproduire le karma familial !

10. Selon vous, en quoi la lecture peut-elle améliorer notre vie personnelle et professionnelle ?

La lecture joue un rôle fondamental dans la vie tant au niveau personnel qu’au niveau professionnel.

Savoir lire est déjà en soi une porte d’entrée à l’apprentissage, la communication, l’accès à la connaissance, l’information et l’autonomie.
Il y a malheureusement beaucoup d’analphabètes dans ce monde ce qui doit être certainement handicapant au quotidien.

La lecture nourrit l’imaginaire, enrichit le vocabulaire, améliore notre syntaxe et offre un plaisir intellectuel. Elle permet de se détendre, de découvrir d’autres cultures, des histoires vraies et de s’en inspirer, d’être stimulé, d’explorer et de développer des émotions diverses, d’améliorer sa créativité, de rêver, d’apprendre et de se former continuellement.

L’accès à l’enseignement par la lecture reste indispensable pour bâtir des sociétés plus justes, plus inclusives. Elle nous permet de nous connecter au monde et de devenir des individus plus accomplis.

11. Pour conclure, si des personnes souhaitent entrer en contact avec vous pour échanger ou en savoir plus, pourriez-vous partager un lien vers votre profil LinkedIn ou tout autre moyen de contact ?

Avec plaisir.

Conclusion

Merci pour ce moment de partage. Votre témoignage, riche en authenticité et en résilience, inspire et montre que les défis, aussi grands soient-ils, peuvent être surmontés avec détermination et entraide.

C’est vrai, c’est pour cela qu’il me semble important de développer sa vertu dans son parcours de vie.
Je tiens à exprimer ma gratitude pour cette opportunité d’expression auprès de Racha Mousdikoudine. Cet exercice m’a permis de prendre conscience de toutes les richesses accumulées sur mon parcours.

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