L'Homme Derrière la Révolution de l'Eau à Mayotte : Sébastien Fumaz
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À chaque interview, j’apprends énormément sur la vie, et ces séances représentent pour moi un développement personnel inestimable. Écouter attentivement n’a pas toujours été mon point fort, mais j’aime entendre les histoires des autres, car elles me font grandir et mûrir. Sébastien est le genre de personne que je pourrais écouter pendant des heures, tant il est passionné par ce qu’il fait.
Il m’a soutenue depuis mes débuts en tant que présidente de Mayotte A Soif. J’ai toujours été convaincue que les générateurs d’eau atmosphérique sont plus économiques, plus écologiques, et qu’ils rendront nos territoires autonomes en eau, même dans le domaine de l’agriculture.
Certes, Mayotte A Soif a fortement contribué à la prise en charge des factures d’eau par l’État et à la distribution des bouteilles d’eau pour tous. Cependant, je nourris toujours le rêve qu’un jour, notre belle île bénéficiera d’une eau en abondance.
En attendant, je vous invite à découvrir l’histoire de Sébastien Fumaz.
Bonne lecture !
Racha Mousdikoudine
Qui es-tu ? Quelle est ton histoire ?
Je m’appelle Sébastien. Je suis né à Annecy, en Haute-Savoie. Mes deux parents sont des immigrés italiens. Je suis papa de trois enfants et divorcé. J'ai fait mes études de technicien en bureau d’études à Paris. Je suis chef de projet et j'ai passé toute ma vie dans le bâtiment. J'ai vécu cinq ans à Saint-Martin et en Guadeloupe, où j'ai rencontré des problématiques liées à l'eau. J'ai beaucoup bougé : Paris, Montpellier, Pau, les Antilles, dans l'océan Indien : Mohéli, Ngazidja, Madagascar, La Réunion, mais le Covid m'a freiné dans mon exploration.
Quel est ton constat concernant la problématique de l'eau à Mayotte ?
L'expansion démographique, l’absence d’une troisième retenue collinaire, les infrastructures de traitement sous dimensionnées, les réseaux d’eau pas forcément au mieux..
Tous ces facteurs font que Mayotte vit depuis des années avec des problèmes d’eau qui ne font que s'accroître.
Nous sommes la seule espèce vivante à faire nos besoins dans de l'eau potable, l'espèce la plus intelligente ?
Nous avons deux besoins essentiels concernant l’eau, un vital et un domestique.
Il est simple de récupérer l'eau de pluie pour les besoins domestiques lorsqu'il pleut. À Mayotte, nous avons des difficultés en quantité et en qualité d'eau. Les bouteilles en plastique posent aussi des problèmes, notamment avec les scandales comme celui de Nestlé ou Cristalline.
À Saint-Martin, c'est un bout de caillou où les gens peuvent passer un an sans pluie. Les constructions prennent en compte ce problème et l’eau de pluie est stockée et conservée pour faire face.
À Mayotte, les instances ont fait supprimer ces stockages pour lutter contre les moustiques bien avant la crise de l’eau. Les gens ont dû réinvestir dans des cuves ou des citernes.
Nous buvons de l’eau en bouteille mais utilisons l'eau du robinet pour la cuisson, malgré les risques de métaux résiduels. Pour connaître la qualité de l'eau, il suffit de consulter le site gouvernemental qui fournit des analyses pour chaque commune de France. C’est surprenant de voir la liste de ce qui est autorisé même en petite quantité.
Peux-tu nous parler de ton expérience au village relais à Tsoundzou ?
J'étais chef de projet dans un établissement public à Mayotte pour la construction de maisons en kit métalliques , des hébergements d'urgence. J'avais proposé d'utiliser des citernes souples pour récupérer l'eau de pluie. J'ai rencontré l’ARS pour discuter de cette idée, mais ils ont limité son usage au nettoyage et à l'arrosage. Pourtant, l'utilisation de l'eau de pluie pour les besoins domestiques est courante ailleurs.
Comment est née l'idée de Geobuilder ?
Au départ, quand il y a eu de la manganèse dans l'eau à Mayotte en 2021, j'errais en scooter et je réussissais à obtenir de l'eau pour 12 euros le pack. J'ai fait venir un générateur depuis Saint-Martin auprès d'Osoley. Mon associé actuel, Arnaud, était mon voisin à Mayotte. Le jour où il a su que j'avais un générateur d'eau, il était comme un enfant devant un sapin de Noël : "C'est vrai que tu as un générateur d'eau ?". Il m'a encouragé à les commercialiser. À ce moment-là, nous n'avions pas conscience qu'il y aurait une crise de l'eau à Mayotte. Puis, la crise de l'eau est survenue et les demandes sont montées en flèche.
Ce n'est pas la première fois que je crée une entreprise dans l'hexagone, j'étais constructeur de maisons individuelles. Cette fois-ci, mon entreprise apporte une solution à une problématique vitale et c'est gratifiant. Nos clients sont très heureux d'avoir leurs générateurs et de ne plus dépendre des bouteilles d'eau ou de devoir bouillir l'eau avant de la boire, si eau il y a dans les robinets.
Ne plus dépendre de personne pour ses besoins vitaux est devenu essentiel.
Quel est ton objectif au sein de Geobuilder ?
L'histoire de mon entreprise, c'est de bâtir le monde de demain. Aujourd'hui, nous sommes dans un système néolibéral mortifère où seule une poignée de gens s'enrichit. Nous devons aller vers l'autonomie, la bienveillance et le partage de toutes les ressources, savoir, savoir-faire, richesses. Nous devons revenir aux fondamentaux, à l'essence de l'humain. Nous nous sommes perdus dans la surconsommation dès le plus jeune âge.
Comment fonctionnent vos générateurs d'eau ?
Les générateurs atmosphériques reproduisent le cycle naturel de l'eau. Toute l'eau douce de la planète provient du même endroit. L'eau des oceans, des mers s'évapore, se transforme de liquide à gazeux, ensuite il y a la formation des nuages, puis la condensation qui fait la pluie. La pluie retourne dans les ruisseaux et est rejetée dans l'océan.
Le générateur fait la même chose : il récupère l'eau de l'atmosphère, c’est LA SOURCE.
Il filtre cet air, récupère la molécule H2O qui ne peut pas être polluée, car l'eau ne peut être polluée que sous sa forme liquide. Une fois l'H2O récupérée, le générateur la condense et crée des gouttes d'eau. Ensuite, la pureté de l'eau est garantie par son passage dans différents filtres à charbon et par osmose inversée. Elle est stockée dans des réservoirs en inox alimentaire avec des lampes UV qui empêchent la formation de bactéries et de virus. Chaque heure, la machine fabrique un litre d'eau accessible immédiatement, contrairement à l'eau du robinet qui peut nécessiter un voyage de plusieurs jours avant d'arriver, avec tous les risques de contamination que cela implique.
L'ARS nous reproche de ne pas avoir une eau assez minéralisée, alors que l’humain est un organisme hétérotrophe, il assimile ses minéraux dans les fruits et les légumes et très peu dans l’eau. Dans de nombreux autres pays, l’eau doit être faiblement minéralisée voir même pas du tout.
Osoley travaille avec des spécialistes de l’eau et l’eau produite par les générateurs est la plus adaptée au corps humain, c’est sans doute pour cette raison que nos clients ne jurent que par l’eau de l’air une fois qu’ils y ont pris goût.
Quels sont tes projets actuels ?
Sur notre site, il y a un blog, et dans l'un des premiers articles, j'invitais les Mahorais à créer une coopérative citoyenne avec de gros générateurs atmosphériques pour produire de l'eau de manière autonome. Geobuilder peut aider sur le plan technique, mais c'est aux Mahorais de s'approprier le projet.
J'aimerais créer une association à Mohéli pour promouvoir des technologies low-tech, mettre en place de la permaculture et favoriser l'autonomie alimentaire. Le foncier y est beaucoup plus accessible, ce qui permettrait aux jeunes d'être créatifs et entreprenants. Il faut aussi penser à des générateurs collectifs autonomes prêts à l'emploi pour Madagascar, pour les Comores et tous les endroits où les gens ont besoin d’eau et peu de moyen.
Nous travaillons là dessus actuellement pour que l’eau soit un bien commun et non pas une marchandise appelée l’or bleu.
Quels sont les défis auxquels tu as été confronté ?
Le manque de solidarité m'a choqué. Lors d'agressions, peu de personnes interviennent.
J'ai formé 60 jeunes dans le cadre du village relais, une expérience géniale malgré les avertissements initiaux. J'ai souhaité créer une association pour aider ces jeunes à développer des technologies low-tech, mais malheureusement je n'ai pas eu de soutien de la mairie de Koungou.
Concernant Geobuilder, je n’ai reçu aucun soutien des instances, bien au contraire…
Mais heureusement de nombreux directeurs ou chefs d’entreprises ont compris tout l'intérêt de produire directement de l’eau sans ne plus dépendre de personne et je les remercie pour leur confiance. C’est une incroyable aventure humaine avant tout.
Quel est ton message pour l'avenir ?
Ensemble, construisons le monde de demain. Ce que j'aime à Mohéli, c'est que les gens travaillent la terre très tôt le matin, vendent leurs produits aux autres îles et profitent de la vie ensuite. Ce n'est pas comme le modèle occidental où on doit travailler jusqu'à 64 ans avant de se reposer. Quand j'étais môme, l'école me parlait des "sauvages" de la forêt amazonienne, mais en réalité, ils se lèvent le matin et vivent de leur chasse et de leur cueillette, ils nagent, partagent, font la fête. C’est leurs seules préoccupations…